Grâce à leurs expériences de managers et de consultants en transformation, Alban Dalle et Nicolas Kalmanovitz partagent ce qui les a poussés tous deux à évoluer dans leurs pratiques, et les changements de management qu’ils observent ces dernières années dans les organisations.
Tous deux sont convaincus que seules les entreprises très agiles tireront leur épingle du jeu, que les transformations ne sont possibles que si les managers et leaders sont motivés à y trouver leur place, à faire évoluer leurs pratiques en conséquence.
Alban et Nicolas partagent leur vision de la place des managers dans le monde d’aujourd’hui sous forme d’un top dix des “mutations” à opérer et des quelques facteurs clés de succès qui accompagnent ces changements.
Pendant longtemps, les consultants ont eu pour mission de convaincre les entreprises que l’on vit dans un monde volatile, incertain, complexe, ambigu. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de tenir ce discours, nous savons tous que nous vivons dans le brouillard. À tout moment peut surgir une pandémie, un concurrent qui lève des centaines de millions, une nouvelle technologie qui change la donne. C’est à la fois le brouillard et un monde ultra riche d’opportunités ! La vraie question devient : comment y voir clair et tirer son épingle du jeu dans cette situation ?
Si les méthodes agiles connaissent un tel succès depuis une quinzaine d’années, c’est justement parce qu’elles permettent de mieux fonctionner en environnement complexe. Elles permettent aux organisations de développer leur capacité d’adaptation. Elles appellent aussi à remettre en question un certain nombre d’éléments structurants, comme les silos organisationnels, pour évoluer vers des systèmes plus apprenants, des organisations plus orientées produit voire libérées.
Dans ces mouvements de transformation, les évolutions se jouent souvent dans des cultures d’entreprise où les pratiques managériales ne sont pas adaptées. En effet, aller vers des organisations très autonomes, basées sur la confiance et le droit à l’erreur alors que les systèmes fortement hiérarchiques reposent sur du “command and control”, ce n’est pas compatible et ne permet pas d’obtenir les bénéfices escomptés.
C’est même à se demander si les managers n’ont pas tout simplement vocation à disparaître : on entend parfois que l’agilité rime avec la fin des managers. Cela ne manque pas de crisper ces mêmes managers qui, eux, reçoivent l’injonction de rendre agile leurs équipes et donc d’entraîner ainsi la fameuse résistance au changement. Le management d’hier aura probablement disparu demain, mais ce n’est pas pour autant que nous n’avons plus besoin de managers ou de leaders. Mais cette transition nécessite dès aujourd’hui une mutation de l’espèce managériale. De quoi s’agit-il exactement ?
Il ne s’agit pas d’une révélation soudaine mais d’un changement progressif que Nicolas partage en toute simplicité. Il a commencé le management par hasard et a suivi un mode de management contrôlant voire paternaliste. Ce mode de management nourrissait des croyances selon lesquelles ses équipes étaient incompétentes et l’illusion de la nécessité d’être une sorte de vizir. Confronté à des dissensions entre pratiques managériales et valeurs personnelles dans des milieux digitaux poussés à s’adapter rapidement, la découverte des méthodes agiles lui a permis de réfléchir à comment rendre son organisation plus efficace. Et pour ce faire, il fallait des équipes plus motivées, plus efficaces et donc développer leur autonomie, déléguer un maximum, faire confiance tout en faisant évoluer les postures.
C’est par ces réflexions et pratiques que Nicolas confirme avoir retrouvé ses valeurs et qu’il s’est senti davantage en accord avec lui-même. Le corollaire est que plus sa posture changeait, plus ses équipes étaient efficaces et motivées. C’est ainsi qu’il a arrêté le management traditionnel et basculé dans le coaching et le servant leadership. De cette époque-là, il a gardé la conviction que la principale mission managériale consiste à créer un environnement motivant et engageant, que c’est en cherchant ce qui le motive qu’un manager a la chance de pouvoir trouver sa juste place, motiver ses managés et les aider à performer. Et finalement, aider l’organisation à trouver sa place dans un monde complexe et incertain.
La question de la motivation intéresse vivement Alban et Nicolas : avec beaucoup de managers, ils cherchent à comprendre ce qui motive les équipes et ce qui motive les managers à évoluer dans leur management. C’est à partir d’histoires comme celles de Nicolas, d’Alban et de bien d’autres managers qu’ils ont pu faire émerger un modèle de management en quatre dimensions, basé sur les grandes catégories de facteurs de motivation intrinsèques que l’on retrouve dans les travaux de Daniel Pink et son fameux ouvrage Drive.
Sont cruciaux la finalité et le sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand que soi. Faire des choses qui ont du sens pour nous et qui nous rattachent à quelqu’un, à quelque chose, à un projet plus grand qui nous dépasse. Cruciale également la maîtrise : cette capacité à se dire que je progresse continuellement. Je continue d’apprendre dans un environnement sécurisé. Je reçois finalement la reconnaissance de mes pairs pour ce que je maîtrise. Je peux prendre des décisions en toute liberté sur mon périmètre.
A ces trois facteurs clés de la motivation intrinsèque, Alban et Nicolas aiment y ajouter la notion de congruence : être en accord avec soi ; démontrer un alignement entre ce que l’on pense, ce que l’on est, ce que l’on fait et ce que l’on dit.
C’est pourquoi ils proposent 4 postures managériales : Le manager porteur de sens, le facilitateur, le mentor-coach et le manager congruent, exemplaire.
Ces catégories sont aussi en phase avec les principes agiles qu’une équipe adopte quand elle cherche, de façon itérative et incrémentale, à réaliser le bon produit (qui fait sens, qui correspond au besoin), à le réaliser bien (en assurant la mise en oeuvre des expertises et la dynamique d’amélioration continue) et à le réaliser vite (et pour ce faire être assez autonome et responsable).
Devenir porteur de sens
Ainsi, ce cadran permet de définir la place des managers dans un monde agile, à savoir des managers porteurs de sens, coachs, mentors et facilitateurs, toujours congruents comme une boussole. Il peut être pris sous la forme d’un questionnement. Comment ai-je envie de donner du sens? Comment développer l’autonomie, la responsabilité? Que puis-je apporter en termes de développement de l’expertise ? Comment articuler tout cela de façon cohérente entre l’individuel et le collectif ?
Porteur de sens donc : on ne peut plus attendre que la sacro-sainte stratégie vienne uniquement du haut, du top management. Elle sera être inévitablement trop lente et insatisfaisante pour les équipes qui ne manqueront pas de la trouver décalée par rapport à
la réalité du terrain. Alors, à son niveau, en tant que manager, il y a tout intérêt, via des ateliers, des outils, comme la vision par le cadran, à co-construire une partie de la stratégie avec ses coéquipiers voire ses clients pour rééquilibrer le “top down” avec le “bottom up”.
Par exemple, un manager a rapporté à Nicolas que ce type d’atelier a permis de faire émerger la notion de valeur métier dans l’équipe. Ses équipes se sont appropriées vraiment cette vision. Ce manager sentait ainsi que le projet devenait véritablement porteur de sens pour ses équipiers. De la même manière, par exemple, chez OCTO, ce sont les membres de la tribu qui définissent la raison d’être de cette dernière.
On voit également ces dernières années se développer une pratique, celle des OKR [Objectives Key Results], Il s’agit d’une pratique issue des GAFAs qui permet de remettre au centre la question du pourquoi on fait les choses. Quels en sont les impacts recherchés ? Comment va-t-on le mesurer ? Il s’agit, là aussi, d’une pratique simultanément top down et bottom up, qui met en conversation les enjeux stratégiques et la réalité tactique pour finalement ré-aligner de manière cohérente les efforts de tout un chacun. Au final, cela donne une visibilité à tout le monde: sur qui fait quoi, quels sont les objectifs de chacun.
Rendre le travail visible
La visibilité est une autre clé dans le monde d’aujourd’hui. Le fait de rendre le travail visible, c’est-à-dire comment est-ce que je m’assure que tout ce qu’il y a à savoir, à faire, à produire est clair et partagé avec tous, et que je ne suis pas finalement le maître du planning et des tâches ?
En équipes agiles, cela prend généralement la forme de management visuel (type d’un tableau kanban), qui va permettre à chacun de visualiser le travail à réaliser, les priorités et les points de blocage pour faciliter la prise de meilleures décisions à tous les niveaux dans l’équipe. Chez OCTO, ce type de management visuel se retrouve autant dans les équipes de développement que dans les équipes RH, communication, ou celle des business développeurs pour suivre l’activité business. Cela pousse à la transparence.
Pour donner un autre exemple encore plus précis, dans l’équipe de consultants d’Alban et Nicolas, un sujet clé est le staffing des différents consultants sur les différentes missions. Le fait de rendre visible l’ensemble des missions, des opportunités qui se présentent, permet à chacun directement de manifester son intérêt en fonction de ses compétences, de sa disponibilité. Cela soulage considérablement la charge de gestion de staffing traditionnellement assignée au management.
Animer l’amélioration continue
La mutation suivante consiste à porter davantage son attention sur l’amélioration continue que sur le reporting. Pour l’illustrer, il faut imaginer une randonnée avec un programme assez chargé où tout ne se passe pas comme prévu. Des obstacles font prendre du retard sur le timing. Et toutes les deux minutes, quelqu’un demande où on en est. Cela donne-t-il de l’énergie ou est-ce que ça va plutôt en prendre et énerver ? Il en va de même sur un projet : on peut observer que dans les projets en difficulté, demander de plus en plus de reporting de plus en plus fréquemment n’aide pas à améliorer la performance.
Cette mutation consiste donc à se concentrer avant tout sur le système : observer des choses comme le niveau de collaboration et de confiance dans l’équipe, la capacité à gérer les conflits, la solidarité, l’environnement de travail, la capacité à prendre et tenir progressivement des petits engagements et de plus en plus grands, puis à agir notamment via des rétrospectives régulières pour tester des améliorations dans le fonctionnement. C’est ce processus qui va entraîner les améliorations de performance.
Pour faire le lien avec la mutation précédente de la visibilité : rendre les choses visibles et observables, les réussites comme les points de vigilance, participe à ce que tout l’équipe porte attention aux résultats et la performance, et non uniquement le manager. L’idéal est même que ce reporting soit généré automatiquement pour minimiser l’effort à le rendre visible et l’actualiser.
Pratiquer la subsidiarité
Redonner de la visibilité, développer l’amélioration continue, c’est aussi ce qui permet du coup de mieux déléguer, voire de passer de la délégation à la subsidiarité. La subsidiarité, c’est le principe selon lequel la responsabilité d’une action revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont concernés par cette action. Il s’agit ainsi de confier le pouvoir de décision et d’initiative au plus proche du terrain, au plus proche des besoins, au plus proche du client, donc de développer l’autonomie des collectifs et des personnes. La subsidiarité est ainsi descendante.
Si l’on connaît bien les principes de la délégation, cette dernière se trouve rarement mise en conversation. Cela engendre un désalignement entre ce que le manager pense avoir délégué et ce que les équipes considèrent avoir le droit de faire ou non, réduisant sa capacité d’adaptation et son autonomie effective.
La subsidiarité vise plus loin : non plus préciser ce qui est autorisé, mais plutôt ce qui ne l’est pas, les limites. Quelles sont les rares choses qui doivent être interdites ? Tout le reste, par défaut, est autorisé et libère l’énergie des équipes. C’est une façon de distribuer du pouvoir.
Proposer un cadre propice à l’autonomie
Les équipes doivent pouvoir s’appuyer sur un cadre clair pour développer leur autonomie, et appelle au développement d’une posture managériale de plus en plus attentive au design d’organisation intégrant différents facteurs. Pour créer ce cadre propice à l’autonomie et à l’émergence, il s’agit de veiller à protéger la charge cognitive et la capacité de focus des équipes, à co-construire les frontières claires des équipes entre elles.
Par exemple, dans un contexte résolument agile d’une précédente entreprise, Nicolas a observé que la croissance du périmètre fonctionnel et des effectifs générait de la complexité. Cette dernière entraînait un certain désengagement et un phénomène de saturation cognitive des équipes. Plutôt qu’un travail de réorganisation en chambre, l’entreprise a proposé un cadre de réflexion pour redéfinir l’organisation à venir, tout en se basant sur les besoins des clients. Ainsi, le cadre managérial a posé quelques règles (comme limiter le nombre de personnes dans une équipe) et amené les équipes à redessiner l’organisation pour qu’elle favorise de nouveau l’autonomie, réduise la charge cognitive, les dépendances et les interruptions. Le rôle du manager, au-delà de s’assurer que les équipes possèdent les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs qu’elles se fixent, intègre aussi de s’assurer qu’elles ne souffrent pas de saturation cognitive.
Pratiquer le questionnement ouvert
Une autre façon de développer l’autonomie et d’éviter de poser le manager en sauveur, c’est de pratiquer le questionnement ouvert. Plutôt que de répondre directement aux questions et aux problèmes qui se posent, il s’agit de solliciter ses équipiers, les interroger par des questions ouvertes sur leur façon de voir et de faire les choses. Quelles sont nos options pour résoudre le problème? Qu’est-ce que tu proposes ? Que pourrions-nous faire selon toi ? C’est une façon de reconnaître et de mobiliser l’intelligence collective de tous les collaborateurs. Cela paraît extrêmement basique, et pourtant pas si facile et naturel pour de nombreux managers.
C’est pourquoi au sein de leur équipe, Alban et Nicolas ont décidé, avec d’autres membres, d’augmenter leurs compétences en se formant notamment au coaching professionnel. Intervenir dans des environnements en changement nécessite d’être meilleurs dans l’accompagnement des personnes. Mais le bénéfice auquel ils ne s’attendaient pas, c’est l’incidence forte sur leur propre manière de manager. Cela a musclé leur capacité à questionner, à se retenir de donner la solution. Ce changement de posture a permis de rendre les équipiers plus autonomes, plus performants, avec à la clé des parcours carrières impressionnants.
Demander du feedback
Cette mutation consiste, en tant que manager, à demander du feedback à ses managés sur son management. Il est très difficile de donner du feedback à son propre manager, et certains recommandent même d’éviter de le faire ! C’est donc davantage au manager d’en demander, plutôt qu’au managé de devoir en prendre l’initiative. La façon de demander n’est pas toujours évidente, c’est pourquoi Alban et Nicolas encouragent une pratique simple : demander “ Qu’est ce que vous aimeriez que je fasse davantage ? Que je fasse moins ? Que je continue à faire de même ?”. D’une certaine manière, le client du manager, c’est le managé. Aussi est-il nécessaire d’obtenir du feedback régulier pour adapter son management et le rendre plus pertinent.
Démontrer la réalité du droit à l’erreur
Un participant mentionne l’importance de la sécurité psychologique pour pouvoir faire du feedback à son manager. Effectivement et l’environnement doit plus largement donner le droit à l’erreur. A titre d’exemple, Alban partage sa surprise en arrivant chez OCTO d’entendre le PDG partager une de ses erreurs et ce qu’il en avait appris. C’est très puissant en termes d’exemplarité.
Si le droit à l’erreur est déjà présent, le manager peut le renforcer en partageant ses propres erreurs et apprentissages associés, tout en montant au créneau pour défendre ce droit quand un collègue commet une erreur acceptable. Si le droit à l’erreur ne fait pas encore partie de l’organisation, le manager peut commencer modestement en influençant les comportements et discuter du sujet avec son propre manager pour aller vers la définition d’un nouveau cadre autour du droit à l’erreur.
Cultiver ses compétences techniques
Si le manager ne contrôle plus, que les managés sont autonomes, que chacun prend des initiatives sans peur panique de se tromper, que reste-t-il ? Du temps et de l’énergie ! Cela tombe bien parce qu’aujourd’hui nous revenons à un monde de faiseurs où l’excellence technique compte. C’est pourquoi, en tant que manager aussi, on peut choisir les sujets sur lesquels on souhaite rester ou devenir légitime. Le manager retrouve le temps et la motivation intrinsèque du développement de son expertise. Il ne s’agit pas d’être le meilleur sur tous les sujets, mais de continuer à prendre du plaisir à apporter sa pierre à la communauté.
Choisir son manager
Cette dernière mutation consiste d’abord à choisir son management pour pouvoir l’adapter à son contexte et à ses besoins, sa personnalité. La façon de manager n’a pas de modèle unique, il s’agit de se sentir libre de tester et d’adopter de nouvelles pratiques qui nous correspondent.
Dans l’autre sens chez OCTO, chaque consultant peut choisir son manager et en changer régulièrement. Le management est au service de la réussite et des objectifs de ses managés. De même, dans de nombreuses équipes, il est possible de choisir son ou ses leader(s). Il s’agit souvent d’élection sans candidat, par désignation de la personne la plus à-même de prendre le rôle de porteur de sens, mentor et coach, facilitateur de l’équipe. Il s’agit-là d’un renversement de fonctionnement très important.
Ces 10 mutations s’incarnent dans le modèle de management en quatre axes cités précédemment : porteur de sens, facilitateur, mentor/coach et congruent. Pour chaque mutation, il y a des techniques et des outils qui les supportent et bien-sûr, le plus important est de pratiquer, d’essayer, d’expérimenter par soi-même ces différentes mutations, d’inviter d’autres managers autour de soi à faire de même pour qu’ils puissent constater eux aussi la pertinence de ces approches.
Pour faciliter cette expérimentation, mise sur le triptyque formation-coaching-codev : se former à de nouvelles pratiques pour bien les comprendre, échanger avec des experts et entre pairs. Se faire coacher pour mettre en pratique sur le terrain ce que les formations ont pu amener théoriquement. S’inscrire dans du co-développement via des communautés de managers qui échangent régulièrement sur leurs pratiques, leurs expérimentations, ce qui marche et ne marche pas. Et finalement bâtir collectivement un modèle managérial mouvant, adapté au contexte, partagé et en amélioration continue.
Le manager de demain se prépare aujourd’hui. Il s’agit d’avoir le choix d’être le manager, le leader que l’on veut être, en se posant les questions : Qu’est-ce qui me motive vraiment ? Quelle est ma proposition de valeur ? Qu’est ce que j’ai envie d’apporter aujourd’hui et demain ? Comment rester congruent ? En tout cas, c’est la conviction d’Alban et Nicolas.
Nos formations en lien avec la thématique abordée
OCTO Academy propose plusieurs formations à destination des managers qui aspirent à faire évoluer leurs pratiques pour faire face aux mutations du monde du travail.